Festival International de Quatuors du Luberon

Bruno Ducol in memoriam

Bruno Ducol (1949-2024) avait une passion pour la voix, tant parlée que chantée, et aimait s'entourer de ses interprètes d'élection, pianistes, chanteurs et aussi percussionnistes, car le rythme est dans sa musique un vecteur essentiel. Le programme à l'affiche, dans l'église bien sonnante de Cabrières d'Avignon, l'aurait comblé, plaçant aux côtés de ses propres compositions, deux mélodrames (Schubert et Strauss) et la musique de Debussy dont il se sentait le digne héritier.
À fleur d'émotion, Adieu à la terre de Schubert est un court mélodrame où la voix du récitant (Matthieu Marie) s'inscrit dans l'élan du flux musical (le piano de Jonas Vitaud) et le nuancier  de ses harmonies. Plus développé, avec une partie de piano très effusive, Le Château sur la Mer de Richard Strauss n'est pas moins poignant, qui rejoint l'univers de la ballade romantique et du récit légendaire empreint de mélancolie dans lequel nous embarquent Matthieu Marie et Jonas Vitaud en étroite complicité.
« Mélancolique et doux », note Claude Debussy pour la première de ses trois Images oubliées (1894), des partitions de jeunesse restées inédites jusqu'en 1977. Elle sonne avec beaucoup de profondeur sous les doigts de Jonas Vitaud. La seconde, Souvenir du Louvre, n'est autre que la première version de la Sarabande du triptyque Pour le pianoque Debussy achève deux ans plus tard : elle est jouée par l'interprète avec cette « élégance grave et lente » demandée par le compositeur. Laura Holm est au côté du pianiste pour chanter deux des Trois poèmes de Mallarmé, Soupir et Placet futile, mélodies de maturité que Debussy compose en 1913 : la prosodie y est soignée et le piano conducteur, laissant apprécier la clarté d'élocution et le timbre altier de notre chanteuse.
Parmi les six Études de rythme op.20 (1993) de Ducol, Jonas Vitaud a choisi la sixième,  Fulgurance, dont le titre exprime l'énergie qui la traverse. La virtuosité déployée par le pianiste n'est pas sans évoquer celle de Pierre Boulez dans sa Première sonate.
Laura Holm, quant à elle, a quitté le plateau pour rejoindre son partenaire Arnaud Lassus, dont le set de percussions est installé dans la nef de l'église, devant le public. « Bruno Ducol était un révolté », nous dit son fils, Clément, qui vient présenter Für die Jugend (Pour la jeunesse), cinq madrigaux amoureux et guerriers op.30 bis ; l'œuvre pour voix et percussions ne manque pas d'interpeler l'auditoire, mettant l'œil autant que l'oreille à l'affût : de fait, les première et dernière pièces sont quasi silencieuses, ne faisant intervenir que le geste et le souffle des deux interprètes, très fusionnels. La voix chante sur des poèmes de Solage (XIVᵉ siècle), Victor Hugo et Bruno Ducol lui-même, célébrant l'élan vital, la révolte et l'énergie de la jeunesse, des valeurs qui ont toujours nourri la pensée du compositeur.



La seconde partie du concert, introduite en douceur par une page pianistique de Liszt, En rêve, donne à entendre le dernier opus de Bruno Ducol laissé inachevé, Entre regard et silence, hommage à Olivier Messiaen, op.50. L'œuvre, créée en 2024 au festival Messiaen, est écrite sur des poèmes de François Cheng et réunit la voix, le piano et le récitant. Les trois sources sonores sont amenées à fusionner, le pianiste donnant également de la voix, pour « dire » le texte, en projeter le sens autant que le son, dans toute sa richesse et ses résonances. La voix de Laura Holm est flexible, celle du récitant Matthieu Marie pleine de ferveur, Ducol mettant dans leurs mains les instruments du rituel, crotales et bol tibétain. Jonas Vitaud est amené à jouer dans les cordes de son instrument, apportant dans l'harmonie les nuances microtonales recherchées. Habités par cette œuvre qu'ils ont pu travailler avec le compositeur, les interprètes donnent ce soir la pleine restitution de ce chef-d'œuvre définitivement inachevé.